Gardien des Bleus à la Coupe du Monde 1982 : dans les coulisses du choix d’Hidalgo

La Coupe du Monde 1982 constitue l’une des épopées les plus exceptionnelles de l’histoire du football français. Plus de 40 ans après, les amoureux du ballon rond se passionnent encore pour les exploits de Platini et consorts. La naissance du fameux carré magique, la demi-finale légendaire contre la RFA… De multiples raisons expliquent pourquoi cette compétition a tant marqué les esprits. Avec un débat encore vif aujourd’hui : celui du choix du gardien des Bleus à la Coupe du Monde 1982. Pourquoi Jean-Luc Ettori, très critiqué, a gardé les cages de l’équipe de France aux dépens de Jean Castaneda et Dominique Baratelli, peut-être plus performants ? L’histoire aurait-elle été différente avec un autre portier dans les buts ? Grâce aux témoignages des intéressés et de nombreux autres joueurs de l’époque, Le Podcast des Légendes replonge dans les coulisses du choix du sélectionneur Michel Hidalgo.
Bara ou Casta ? Non, le gardien des Bleus à la Coupe du Monde 1982, c'est Ettori
Ettori, troisième choix derrière Baratelli et Castaneda
Été 1982. L’équipe de France de football est qualifiée pour la Coupe du Monde en Espagne. Ressuscitée par le sélectionneur Michel Hidalgo, portée par une génération prometteuse symbolisée par Michel Platini, Maxime Bossis ou Alain Giresse, elle aborde la compétition avec certaines convictions. Mais aussi quelques points d’interrogation.
L’un des plus importants d’entre eux ? Le poste de gardien de but. Qui doit être titulaire dans les cages pour ce Mundial espagnol ? Les trois portiers emmenés par Hidalgo sont Dominique Baratelli, Jean Castaneda et Jean-Luc Ettori. Au final, c’est ce dernier, portier de l’AS Monaco, qui prendra place dans les buts français. Un choix qui fait toujours débat aujourd’hui, ce qu’illustrent les propos de Jean-Paul Bertrand-Demanes, gardien lors du Mondial 1978. « À l'époque, entre Ettori, Castaneda et Baratelli, y a pas photo quoi... » juge-t-il. « Moi, je ne comprends pas qu'Ettori soit titulaire… Baratelli, je crois, aurait dû être titulaire… »
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Pourtant, à la base, le choix d’Hidalgo ne se porte pas vraiment sur Ettori. Au contraire, comme Dominique Baratelli le rappelle lui-même, ce dernier vient de « gagner la Coupe de France, donc j’étais dans une bonne dynamique ». Un trophée remporté par le PSG aux tirs au but face à Saint-Étienne, avec plusieurs exploits du gardien à la clé. De plus, Baratelli a le plus long vécu des trois en équipe de France… Assez pour en faire un titulaire incontournable ? Pas vraiment.
Car derrière, il y a Jean Castaneda qui pousse. D’ailleurs, c’est celui-ci qui garde les cages bleues lors du match décisif pour la qualification contre les Pays-Bas en 1981. Une victoire 2-0, une clean-sheet, et la bande à Platini valide son billet pour l’Espagne. Ainsi, dans cette dynamique, Baratelli le reconnaît : « Au départ, je savais qu'il y avait une grosse tendance pour Castaneda, et j’y suis allé [au Mondial] en disant : “Je vais tenter ma chance” ».
De son côté, Ettori s’attend-il, lui, à être titulaire ? « Ça ne m'a jamais traversé l'esprit, commente-t-il. Il faut savoir quand même que, dans les journaux, c'était ou Bara ou Casta, c'était personne d'autre ». Donc pour lui, il est clair qu’il est le troisième dans la hiérarchie des gardiens pour la Coupe du Monde 1982.
Néanmoins, lorsque la préparation commence, cette hiérarchie n’est pas forcément clairement établie par le staff. De l’aveu de Jean Castaneda, les trois gardiens sont laissés un peu dans le flou. « Chacun avait plus ou moins une étiquette », explique-t-il. Baratelli c'était « Le Vieux », Castaneda « Le Jeune » et Ettori « Le Troisième Joker ». À l’heure du football moderne, cette instabilité avant une compétition majeure, surtout à un poste aussi crucial de celui de gardien de but, peut surprendre. Castaneda compare la situation qu’il a vécue à celles, opposées, de Joël Bats en 1984 ou de Fabien Barthez en 1998. « Barthez, quand il était en équipe de France, il n'y avait aucune discussion possible autour de lui ». Pareil pour Bats, qui va s’imposer dans la période 1982-1984 menant les Bleus au sacre de l’Euro. Cependant, en 1982, il n’y a donc finalement « pas vraiment de hiérarchie », se remémore Castaneda. Ainsi, pour le staff tricolore, « c'était peut-être plus compliqué pour trouver le gardien qu'il fallait à ce moment-là ».
Ettori s’impose comme n°1 durant la préparation du Mundial espagnol
Le stage des Bleus pour préparer la Coupe du Monde se déroule à Font-Romeu, dans les Pyrénées. Et si la hiérarchie des gardiens n’est pas claire pour certains, tout le monde n’a pas le même sentiment. Ainsi, pour Baratelli, « au départ le titulaire, c’était Castaneda ». Il explique que, pendant la prépa, l’équipe « faisait des matchs avec trois mi-temps : la première mi-temps, c’est Castaneda qui jouait. La deuxième mi-temps, c’était Ettori, la troisième mi-temps, c'est moi, voilà l'ordre ». Le milieu remplaçant René Girard se souvient, lui, que « le poste de gardien de but avait été très disputé ». Quant au gardien de l’AS Monaco, au départ, il est « déjà bien content de partir faire ce genre de compétition », révèle-t-il.
L’un des éléments qui va jouer dans la remise en cause de l’ordre établi, durant ce moment pré-Mundial, c’est l’altitude. Font-Romeu culmine en effet à 1 800 mètres, créant des conditions bien particulières qui ne conviennent pas à tout le monde. Dominique Baratelli confesse ainsi qu’il « souffre énormément en altitude. Donc j'ai pas voulu, comment dire, bourrer en altitude. Parce que j'avais fait des crises lors d'un stage à Font-Romeu ». Par crainte d’autres crises, il gère donc ses efforts, ce qui impacte peut-être le choix final d’Hidalgo ? Le portier parisien ne le saura jamais. La cause à une relation avec le sélectionneur qu’il juge « inexistante ». « Moi, je suis resté en Coupe du monde en 1982 et il n’est jamais venu me voir, par exemple », lâche-t-il.
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Parmi le staff des Bleus, Hidalgo a, à ses côtés, une référence comme entraîneur des gardiens : le légendaire Ivan Curkovic, portier du grand AS Saint-Étienne des années 1970. C’est justement Jean Castaneda qui a pris sa place dans les cages vertes. De quoi penser que celui-ci puisse être favorisé ? Il n’en est rien. De son propre aveu, pendant la préparation, il pense honnêtement « ne pas avoir répondu aux attentes », et n’en veut nullement à « Curko » de ne pas l’avoir privilégié. Selon le grand défenseur Marius Trésor, « Jean-Luc Ettori était peut-être le plus petit des trois gardiens qu'on avait emmenés en 1982. Mais l'entraîneur des gardiens, c'était Curkovic, l'ancien gardien de Saint-Étienne […] À l'entraînement, il le sentait beaucoup plus travailleur. Et c'est pour ça, quand Michel Hidalgo demandait qui est le meilleur gardien actuellement, Curkovic lui disait "par rapport au travail, c'est Jean-Luc Ettori" ». Castaneda se souvient aussi que son coéquipier « était un gardien un peu foufou, qui parlait dans tous les sens et faisait plein de choses […] C'est peut-être ce qui a fait la différence » dans le choix d’Hidalgo pour le poste de gardien des Bleus pour la Coupe du Monde 1982.
Et Ettori dans tout ça ? Malgré son plaisir de faire partie de l’aventure, son côté compétiteur ne disparaît pas pour autant au moment de débuter la préparation. Il précise ainsi que « s'il y a une infime chance de se montrer, je vais la saisir […] et c'est ce qui s'est passé ».
« Tu es à l'entraînement et tu ne prends pas beaucoup de buts. C'est toujours pareil, tu fais des petits jeux, tu veux jouer avec lui et pas lui, parce que tu sais qu'avec lui tu vas gagner le match. Et c'était comme ça pendant un mois et demi […] J'étais un mort de faim. Mort de faim, je sautais sur tous les ballons […] Donc, à un moment donné, l'entraîneur, il se dit : "Mais attends, moi j'avais décidé de faire jouer lui ou lui. Mais non, ça va être lui quoi" », Jean-Luc Ettori sur le stage de préparation au Mondial 1982.
Voilà comment le portier de l’ASM explique la manière dont la bascule du choix se fait dans la tête d’Hidalgo. En quelques semaines, juste avant la plus importante épreuve qui soit, il passe de n°3 à n°1 des Bleus. « Avec le recul, plus personne n'a fait ça », s’exclame aujourd’hui Ettori. « Ça prouve ce que j'ai dû faire pendant un mois et demi pour me faire briller dans la tête de l'entraîneur. Puis des joueurs. Parce que je ne peux pas concevoir que Michel Hidalgo m'a fait jouer sans l'assentiment des cadres ».
De Maxime Bossis à Alain Giresse, de nombreux anciens ne peuvent effectivement que se rendre à l’évidence : Ettori est au-dessus. Pour le meneur de jeu des Girondins de Bordeaux, à Font-Romeu, « Ettori a fait une préparation exceptionnelle ». Giresse précise même que, pour lui, « il avait survolé les deux autres gardiens qui étaient là [et] devancé tout le monde après cette préparation ». Par conséquent, son intronisation dans les cages françaises « n'a pas posé de problème » au sein du groupe. Manuel Amoros, le jeune latéral et coéquipier au sein de l’AS Monaco de Jean-Luc Ettori, estime même que le débat n’a pas lieu d’être : « À la fin du stage, [avant] le premier match contre l'Angleterre, Michel Hidalgo va voir Curkovic et lui demande, “pour toi, qui est le gardien que je dois mettre ?” Et Curkovic lui répond : “Jean-Luc Ettori, c'est lui qui a fait le meilleur stage, la meilleure préparation, et c'est lui qui doit être titulaire”. » Pour Amoros, le choix était « clair et net ».
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Très sport, Jean Castaneda concède que, « au bout d'un moment, celui qui joue c'est celui qui est le meilleur […] C'est comme ça, il faut accepter ». L’avant-centre Didier Six conclut en assurant que le choix d’Ettori n’entraîne « pas de débat en interne. Il y avait un sélectionneur qui était là pour mettre son équipe en place et […] les trois gardiens qui étaient à l'entraînement montraient qu'ils avaient envie et qu’il y avait un choix à faire. Michel [Hidalgo] a fait son choix ». Reste à disputer le Mondial.
Malgré des débuts manqués, Ettori s’installe dans les buts pour le Mundial espagnol
Une entrée en matière ratée contre l’Angleterre
Au milieu des stars Platini, Trésor et Giresse, c’est donc Jean-Luc Ettori qui prend place dans les buts français pour le premier match, à Bilbao, contre l’Angleterre. Recalés, Baratelli s’installe sur le banc et Castaneda ne figure même pas sur la feuille de match. Ce dernier reconnaît être « un peu meurtri parce que je ne joue pas et je ne suis pas remplaçant. Je suis dans la tribune. T'es un coiffeur, voilà… ». D’autant plus que cette Coupe du Monde se déroule dans le pays de ses origines. Un peu amer, il regrette d’être passé « de titulaire contre la Hollande au coiffeur qui coupe les citrons à la mi-temps ».
Pour autant, ce duel face aux Anglais est loin d’être une partie de plaisir pour Ettori et ses coéquipiers. Selon le gardien, c’est même simple, cette rencontre est « un cauchemar. L'échauffement, ce qu'il faisait chaud ! On n'était déjà pas bien à l'échauffement. L'entrée dans le tunnel, on était séparé par un grillage, chacun de son côté. Et j'ai vu les Anglais tellement grands, mais tellement grands ! […] J'ai pensé "ça va être compliqué aujourd'hui" ».
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Pour leur entrée en lice, Ettori et les Bleus sont largement dominés par l'Angleterre - Crédit photo : L'Équipe
C’est un euphémisme. Au bout de quelques secondes seulement, les Britanniques ouvrent le score par Robson. La galère d’Ettori et des Tricolores ne fait que commencer et se solde par une défaite sèche 3-1. Finalement, pour lui, « Tout le match, c'est une galère. Tu doutes pas mal, tu te dis "est-ce que je suis fait pour ce niveau-là, pour le haut niveau ?" ». Une question que se pose peut-être l’ensemble des joueurs français tant, ce jour-là, la faillite est générale.
Mais Ettori assume : « En ce qui me concerne, je sais que j'ai raté mon match. Je ne veux pas essayer de trouver des excuses. J'ai raté mon match, voilà ». Il raconte aussi que « la presse m'est tombée dessus, mais ça, j'avais l'habitude. Je savais que c'était comme ça. […] Ça fait partie du jeu ».
Pression de la presse que confirme René Girard : « ils n’ont pas été toujours très gentils avec Ettori. Ça a été compliqué pour qu'il puisse s'imposer naturellement ». En tout cas, les critiques commencent à affluer, les remises en cause également. Dans son livre, même s’il insiste sur la faillite collective de la défense dans ce match contre l’Angleterre, Manuel Amoros décrit la fébrilité du portier monégasque pendant le reste de la compétition : « Jean-Luc devenait de plus en plus fébrile. Tremblant lorsque son nom apparaissait sur la feuille de match. Hidalgo le titularisait chaque fois pour lui prouver que lui, avait confiance et c’est ce qui était important. Tous ses efforts furent vains. Jean-Luc n’était plus en confiance. » Quarante ans plus tard, interrogé par le Podcast des Légendes, il confirme qu’Ettori « appréhendait » la suite de la compétition, « même si nous, à l'intérieur, on le rassurait ». Pour le gardien et les autres Bleus, le rebond est attendu pour survivre dans ce Mundial ibérique.
Ettori reste titulaire au sein d’un groupe fracturé qui se relève pourtant pour réaliser un magnifique parcours
Déjà pas idyllique, la vie au sein du groupe France, après la gifle anglaise, s’en retrouve encore plus impactée. Pour diverses raisons, entre la gestion des « coiffeurs » ou l’affaire Larios notamment, des clans différents se forment, faisant ressurgir les oppositions et menaçant l’unité de l’équipe. Le poste de gardien des Bleus à la Coupe du Monde 1982 est un autre facteur de tensions. Loin d’être impérial face à Robson et compagnie, Ettori doit-il être débarqué ?
Il ne le sera pas. Le seul changement de hiérarchie qui s’opère concerne Castaneda et Baratelli. Le gardien de l’ASSE raconte que, suite à la défaite contre l’Angleterre, « j'ai cru entendre dire qu'entre Hidalgo et Baratelli, ça s'était mal passé », car ce dernier n’accepte pas de ne pas être titulaire. « À partir de ce match-là, j'ai été remplaçant sur le banc et Baratelli a pris ma place dans la tribune ».
Une bouderie de Baratelli, symbole de la mauvaise entente d’un groupe qui vit mal ? D’après certaines rumeurs, ce dernier refuse même de s’entraîner, préférant rester en survêtement ou en costume que de se mettre en tenue. Ce dernier réfute catégoriquement. « C’est faux », clame-t-il. Pour lui, son basculement en tribune s’explique par une blessure au poignet contractée en arrêtant un penalty de Bernard Genghini à l’entraînement. Baratelli résume en indiquant que « on ne joue pas en équipe de France pour être dans les tribunes ».
Pour autant, de l’avis de Castaneda, le gardien du PSG n’est « pas très sympa comme personne » et est un peu isolé du reste des joueurs. De son côté, « Ettori, qui était un Méridional, s'est bien fondu dans le groupe ». Est-ce cette capacité au « bien vivre ensemble », si capitale lors d’une grande compétition, qui permet à celui qui deviendra « Tonton » à Monaco de conserver sa place ? Ce qui est sûr, c’est qu’entre Ettori et Castaneda, il y a « une très bonne relation », selon ce dernier. Les deux partenaires et concurrents partiront même deux fois en vacances ensemble par la suite de leur carrière. De son côté, Marius Trésor a la sensation que les deux gardiens qui « n'ont pas été nommés lors du premier match […] ont laissé tomber après ».
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L'équipe française lors du Mundial 1982 - Crédit : photo tirée du site The Football Market.
Ce qui sauve sans doute aussi le poste de titulaire d’Ettori, c’est la suite du parcours des Bleus. Ces derniers relèvent en effet la tête en écrasant le Koweït 4-1, avant d’arracher leur qualification pour le second tour par un nul 1-1 contre la Tchécoslovaquie. Ensuite ? Deux nouvelles victoires convaincantes contre l’Autriche (1-0) puis l’Irlande du Nord (4-1), durant lesquelles Ettori doit peu s’employer. Résultat : la France se qualifie pour les demi-finales de la Coupe du Monde 1982.
Une demi-finale mythique… et de multiples critiques sur la performance d’Ettori
Un sommet et des regrets pour le gardien des Bleus à la Coupe du Monde 1982
Lorsqu’il pénètre avec les autres Français sur la pelouse du stade Sánchez Pizjuán de Séville, pour la demi-finale face à la RFA, Ettori est confiant. « Je me sentais bien en tous les cas, explique-t-il. Franchement, je me sentais bien ».
Cependant, ce sont les Allemands, champions d’Europe 1980, qui rentrent le mieux dans le match. Dès la 18e minute, Pierre Littbarski ouvre le score. Ettori se souvient bien de cette action qui lui reste encore en travers de la gorge, puisqu’il contre d'abord le ballon avant finalement d’être transpercé. « Sur le premier but, je fais une bonne sortie. Au moment où je me relève, il frappe, il me la met entre les jambes, elle rentre. Ma pensée, c'est "Attends, je ne vais pas être noir pendant toute cette Coupe du Monde !" »
La suite appartient à la légende. Les Bleus reviennent grâce à un penalty de Platini (28e). En deuxième mi-temps, Battiston se fait agresser par Schumacher qui n’est même pas averti, avant qu’Amoros ne frappe sur la barre à la dernière seconde. Durant la prolongation, les deux buts extraordinaires et fougueux de Trésor et Giresse font naître un fol espoir de finale (3-1). Avant le retour des Allemands (3-3) et une séance de tirs au but fatidique pour les hommes d’Hidalgo…
« Ce match, c'est un condensé de toutes les émotions que tu peux connaître dans le foot, dans toute une carrière, les joies, les peines et autres craintes et certitudes. Tout ça en deux heures de match. On a tout connu en deux heures de match, quoi… » Jean-Luc Ettori se remémorant la demi-finale du Mundial 1982 face à l’Allemagne.
Ne reste, pour les Bleus, que leurs yeux pour pleurer. Et mille regrets, qui assaillent notamment Ettori. Ce dernier se reproche encore sa prestation sur les quelques actions menant aux buts allemands, dans le jeu ou durant la séance de penaltys. « Ce qui m'énerve le plus, c'est ça. […] C'est comme si on avait éteint la lumière sur un ou deux coups de pied ».
Jean-Luc Ettori et les Bleus face à la RFA - Crédit photo : Icon Sport, tirée du site euro-2016-france.net
Avec, en point d’orgue, ces tirs au but étouffants. Certes, Ettori stoppe la tentative d’Uli Stielike, donnant momentanément l’avantage aux siens. Mais les observateurs critiqueront ensuite surtout son immobilisme et sa réactivité sur la ligne, sur des tirs pas inarrêtables. « Tonton » ne se dérobe pas : « Le penalty de Hrubesch dans la séance de tirs au but, s'il y a des images qui me reviennent de temps en temps, c'est celle-là. […] Je l'ai revu dernièrement et aujourd'hui à soixante-sept ans, je l'arrête quoi. C'est ça qui m'énerve le plus. Quand je vois ce penalty-là, il ouvre le pied, mais c'est tellement évident, tellement. Je te dis aujourd'hui, je suis sûr que je l'arrête quoi. C'est tellement évident qu'il va la mettre là, et puis pas fort… » Avec son tir réussi, Horst Hrubesch envoie l’Allemagne au paradis, et les Bleus en enfer.
Avec un autre gardien, les Bleus auraient-ils gagné la Coupe du Monde 1982 ?
Éliminés, les Français accusent le coup dans leur vestiaire, entre pleurs et lourds silences. Mais Ettori l’assure, de la part de ses coéquipiers, « je n'ai pas eu de reproches, j'en ai arrêté un quand même [de penalty] ». Amoros confirme même que Baratelli essaie de consoler Ettori à l’issue du match et insiste sur le fait qu’« il ne faut pas non plus qu'on dise qu'il y avait un trio de gardiens de but qui ne s'entendait pas et que Baratelli a voulu mettre la merde [sic]. Pendant le stage, il n'y avait aucun problème » entre les gardiens.
En tribune, témoin de ce match dantesque et de la prestation d’Ettori, Dominique Baratelli pense-t-il justement une seconde qu’il aurait pu/dû rentrer à la place d'Ettori ? Pas vraiment. Pour lui, durant la partie, « c'est l'enjeu qui emporte tout : on est tendu, on regarde comment ça va se passer... Je ne me suis pas mis dans la tête du gardien qui était dans les buts. Ça s'est passé. Il y a eu l’incident sur Battiston. On était un petit peu inquiet pour Battiston. Je ne sais pas, on était pris dans le match. Après, avec le temps, on peut se poser des questions, mais pas sur l'instant ». Même chose pour Castaneda qui joue le match pour la troisième place, perdu face à la Pologne (3-2). Selon Amoros, c’est Baratelli qui aurait dû jouer cette rencontre mais ce dernier, après l’annonce de la composition par Michel Hidalgo « se lève pendant la réunion, et dit à Michel Hidalgo, “Coach, ne me mettez pas, je ne jouerai pas” ».
C’est donc Jean Castaneda qui joue. Ce dernier, responsable sur le deuxième but polonais, est ensuite également très critiqué par la presse. Mais pour lui, Ettori « ne fait pas une mauvaise Coupe du Monde. Bon, le 1ᵉʳ match c'est compliqué […] Après les matchs se succèdent et on peut pas lui reprocher quoi que ce soit puisqu’après la seule défaite qu'il y a eu, encore c'est pas une défaite, c'est un match nul contre l'Allemagne… Sur les trois buts, on ne peut pas reprocher grand-chose, après sur les penaltys, c’est un peu la loterie… »
La performance d’Ettori comme gardien des Bleus pendant la Coupe du Monde 1982 suscite pourtant encore de vives critiques. La tendance à refaire le match, naturelle, prend vite le dessus. Le défenseur Gérard Janvion ne comprend toujours pas pourquoi le gardien a été maintenu dans les cages tricolores. « C'est Curkovic qui fait jouer Ettori, ça, c'est sûr. […] Mais quand Ettori passe à travers, d'ailleurs il a reconnu lui-même qu'il était mauvais, mais tu l'enlèves, tu n'existes pas. Si Yvan ne voulait pas faire jouer Castaneda, mais tu mets Baratelli, il a quand même de l'expérience. Voilà, même Ettori a reconnu qu'il n'était pas bon à la Coupe du Monde ». Pour le latéral stéphanois, il y a eu un problème de prise de responsabilité du staff tricolore durant l’été 1982. « Pourquoi Hidalgo ne l'enlève pas ? Il l’enlève, avec Curkovic qui est responsable. Il n'est pas bon, on enlève, c'est toi le patron. Il n'a pas pris ses responsabilités ».
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Gérard Janvion revient aussi sur le match d’Ettori contre la RFA, en formulant tout haut la question que beaucoup se sont posée. « On le sait, il le sait, il s'est un peu raté, il n’a pas été à la hauteur. Mais qu'est-ce qu’on peut faire ? Ça arrive. Après on avait un gardien remplaçant, est-ce qu'il fallait changer de gardien ou pas ? C’est ça la question. Est-ce qu'il fallait changer de gardien ? Si on change de gardien, est-ce qu'on allait gagner ce match ? Est-ce qu'on sait ? On ne sait pas ».
Certains mettent en avant le fait que, en tribune, Baratelli est pourtant un expert des penaltys et que le sort aurait pu être différent avec lui. L’avant-centre Bruno Bellone se souvient de cette « polémique là-dessus avec Baratelli. Comme quoi ça aurait dû être Baratelli parce que la série des penaltys, [Ettori] en a arrêté un, mais [Baratelli] aurait pu en arrêter d'autres ».
Question sans réponse de se demander si avec Bara, Casta ou un autre, les Bleus de Platini auraient pu être champions du monde. Ce qui est sûr, c’est qu’après 1982, on ne reverra plus jamais Jean-Luc Ettori en équipe de France en match officiel. À son retour dans le championnat, il est d’ailleurs régulièrement sifflé sur toutes les pelouses de l’Hexagone. Pointé du doigt comme principal responsable de l’élimination ? Réaction primaire, facile et injuste. Car comme le rappelle Bellone, « quand on perd, on perd tous ensemble et quand on gagne, on gagne tous ensemble. C'est comme ça le football, on ne peut pas dire “C'est lui, ça vient de lui, pas lui.” » Son compère d’attaque Didier Six a le même avis. Pour ce dernier, il est facile de critiquer et de trouver « des points négatifs ». Au contraire, il l’assure : « Moi, je n'ai pas ressenti là une faiblesse en mettant X ou Y » au poste de gardien. Même son de cloche du côté d’Amoros dans son livre : « Combien de belles parades [Ettori] a-t-il réussies ? On ne peut les compter sur les doigts des deux mains. Était-il le seul défenseur, étant le dernier rempart ? Non. Devant lui, il y avait tout de même une défense ». Et avec un autre joueur dans les cages, rien ne dit que l'histoire bleue de 1982, même finie dans la dramaturgie, aurait été à ce point inoubliable.
Entre les pro et les anti-Ettori, le poste de gardien des Bleus à la Coupe du Monde 1982 est encore source de bien des débats et oppositions. Toutefois, personne ne peut affirmer qu'avec Castaneda ou Baratelli dans les buts, le dénouement de cette formidable épopée de l'équipe de France aurait été différent. Mais c'est cela, finalement, la magie du sport : cette capacité à susciter la passion et à faire réagir, même des années après. Envie de vous replonger dans d'autres épisodes mythiques du football tricolore ? Découvrez sans plus attendre tous les épisodes du Podcast des Légendes !