Jean-Luc Ettori - "Le Tonton Kamikaze"
3 championnats de France, 3 Coupes de France, une finale de Coupe de vainqueurs de coupe, une demi-finale de Ligue des champions.
Toujours avec le même club, il a joué une demi-finale de Coupe du monde, et pas n'importe laquelle, celle que l'on a depuis renommé la « Nuit de Séville », ce match qui a marqué tout un pays et toute une génération. Il a incarné pendant vingt ans la fidélité et la bonhomie. Avec sa 2CV, son œil pétillant, sa moustache légendaire, il a été pendant longtemps le recordman absolu d'apparitions en division avec 602 matchs. A une époque où il faut être bâti comme un Golgoth pour garder les cages, il y a un côté nostalgique à voir notre invité du haut de son mètre soixante-treize, être gardien de l'AS Monaco pendant 20 ans, capitaine pendant 11 ans, Assémiste de cœur et de sang, il a joué avec le Who’s Who du foot des années 1970/80/90 : Platini, Amoros, Petit, Giresse, Glenn Hoddle, George Weah et a vu éclore les Giuly, Trézéguet et Henry. Cette légende c'est Jean-Luc Ettori bien sûr.
Les débuts
JLE : On va remonter très loin. J'avais 16 ans et demi à peu près, je jouais au Cercle Paul Bert de Rennes. Mon papa pour le travail a quitté le Sud et donc j'ai grandi en Bretagne. Et à 16 ans et demi j'ai fait la fin de saison du Cercle Paul Bert de Rennes, en équipe première, en DH : assez précoce quand même déjà pour l'époque pour jouer en DH. Et je pensais faire la saison d'après.
Et les dirigeants, compte tenu de mon jeune âge, ont eu un peu peur et ont fait venir un gardien de but de 28 ans. Et mon père a très mal vécu la chose. Et comme à l'époque, j'étais junior de l'Ouest, j'avais accès au concours d'entrée à l'INF Vichy. Donc il m'a dit : « Ils ne veulent pas faire jouer en première au Cercle Paul Bert ? Est-ce que tu te sens de passer cet examen ? » J’ai été passer l'examen pour entrer à l’INF qui ouvrait ses portes en 1972. Donc, vous voyez l’anecdote. Ce qui veut dire que si les dirigeants de l'époque du Cercle Paul Bert avaient décidé de me faire jouer en première, jamais je n’aurais passé le concours d'entrée à l'INF et donc jamais il y aurait eu la suite, c'est à dire l’AS Monaco, les titres, la Coupe du monde, etc.
Comme quoi le destin a quelque chose d'extraordinaire, des fois, qui fait que vous prenez une direction, que vous n'avez pas forcément décidé de prendre un moment donné.
Le Podcast des Légendes : Et d'où vient cette passion du foot ?
JLE : Mon père était accro au foot : il aimait aller voir les matchs et souvent, à 7/8 ans, on allait au stade de la route de Lorient. Donc on a toujours baigné dans le foot. J'ai un grand frère aussi qui joue au foot. Et puis on mon père était contremaître à l'usine et on avait un immense terrain de jeu. Il y avait une cour énorme, donc on avait toujours un ballon dans les pieds.
Le PdL : Et tu étais toujours gardien ?
JLE : Gardien c'est venu sur le tard. Je jouais gardien de but avec mon école, tous les mercredis et là je voulais jouer dans les buts. Et puis, en club, comme toujours, il manquait un gardien de but, l'entraîneur a dit : « J’aimerais savoir si tu jouerais dans les buts avec l'école. Tu ne veux pas te mettre dedans ? »
J'avais 14 ans et des poussières et je me suis mis dedans. Ça m'a plu : le côté kamikaze, un peu, du poste a fait que ça m’a bien branché et j'ai continué là-dedans tout simplement.
Le PdL : Justement, j'avais lu quelque part, que tu avais déjà utilisé cette expression de « kamikaze » pour parler du gardien de but. Est-ce que tu avais cette personnalité un peu folle ou tu te transformais plutôt quand tu rentrais sur le terrain ?
"J'étais un hyperactif quand j'étais jeune. Avec le temps, on se calme un petit peu. Moi j'ai toujours été quelqu'un de calme, de réfléchi. [Mais] sur le terrain, avec mon gabarit, il fallait que je sois un peu plus courageux, plus vif, un peu plus kamikaze que les autres."
JLE : J'étais un hyperactif quand j'étais jeune. Avec le temps, on se calme un petit peu. Moi j'ai toujours été quelqu'un de, on va dire, calme, de réfléchi, On va dire ça comme ça. Et c'est vrai que bon, quand j'étais sur le terrain, on n’a peur de personne, etc.
De toute façon, je n'avais pas le choix : avec mon gabarit, il fallait que je sois un peu plus courageux, plus vif, un peu plus kamikaze que les autres, il fallait qu'on soit comme ça. Et j'ai fait en sorte de rester comme ça le plus longtemps possible. Le jour où j'ai senti que c'était, que je n'avais plus la possibilité de de jouer comme ça, je me suis arrêté tout simplement.
Le PdL : Est-ce qu’à Rennes, justement, quand t'es jeune, avant tes 14 ans, tu es déjà considéré comme une petite star ?
JLE : J'étais pas considéré du tout comme une star, dans un petit club de Rennes… Enfin un petit club, si on parle de club, c'est un gros club par le nombre de licenciés en Bretagne. Mais voilà, j'avais pas un statut particulier. Si ce n'est vers 16 ans, 16 ans et demi. J'ai fait un stage de détection au Stade Rennais.
J'étais déjà junior de l'Ouest et le Stade Rennais avait jugé que je ne faisais pas l'affaire dont il ne m'avait pas pris. Mais il y avait déjà un très bon gardien au Stade Rennais. Donc j'avais complètement compris la décision, mais je ne m'étais pas fixé, mon ambition était très limitée, c'est à dire jouer en première au Cercle Paul Bert de Rennes et puis rester avec mes potes, le week-end. Voilà, mon ambition, elle était là et c'était pas plus que ça.
Il faut savoir aussi qu’à l'époque, 1970/71, tu ne disais pas aux gens : « Je vais jouer au foot, je vais faire du foot mon métier ». Tu disais plutôt aller à l'école. Donc, c'est vrai que c'est le départ à l’INF qui a fait que je me suis dit : « Pourquoi pas ! »
Le PdL : Tu as 16 ans, à peu près. On te dit : « Il faut partir à Vichy. » Toi tu es né à Marseille et a vécu en Bretagne : comment ça se passe justement ce départ en plein centre de la France ?
JLE : Ça se passe plutôt… bien. D’abord il y a eu pendant trois jours un concours d'entrée à l'INF. On était, je ne sais pas, on était 120 je crois. Ils en prenaient 40, on le savait. Donc là, il fallait, pendant ces trois jours, il fallait faire ses preuves.
Et puis je me rappelle mon père, quand je suis entré, il m'a dit : « Comment ça s’est passé ? ». J'ai dit : « Écoute papa. Je pense que, s’ils en prennent trois gardiens, ça va être juste, s’ils en prennent cinq, il y a des chances que j’y sois ». Et puis ils ont pris cinq, j'étais dedans. Donc je me suis retrouvé à Vichy avec les 39 autres…
Le PdL : Joueurs ?
JLE : Collègues, on va dire ça comme ça. Et puis c'est à ce moment-là que j'ai dit, peut-être que c'est, moi l'école, j’allais tous les jours à l'école, mais je ne m'arrêtais pas souvent, donc c'était pas trop mon truc. Donc je me suis dit peut-être que là, il y a une opportunité, une vraie opportunité donc. Donc voilà.
Alors ça n'a pas été un long fleuve tranquille. Même si, aujourd'hui, c'était à refaire, je ne finirais pas ma phrase, je serais déjà à Vichy. Parce que, autant sur le plan humain que sur le plan football, j'ai passé des moments extras.
Le PdL : Et tu te souviens des autres gardiens qui étaient en même temps que toi, les quatre autres qui ont été sélectionnés ? Est-ce qu'ils ont tous fait carrière ?
JLE : Pas vraiment. Si, il y a eu Frédéric Dobraje qui a un peu joué en pro, il y a eu Jean-Marc Desrousseaux qui a un peu joué en pro. Après les deux autres Philippe Gouet et… je ne me rappelle plus son prénom mais, Jacotin, ils n'ont pas fait une carrière… enfin ils ont, je veux dire ils ont eu une vie après l'INF grâce au foot, plus sympa que s’ils n’avaient pas fait l’INF.
Le PdL : Et est-ce qu’à cet âge-là, (tous les autres invités qu'on a eus dans le podcast ces dernières semaines, nous parlent un peu du côté, du centre de formation, mais il n'y en a aucun qui était à l’INF), est-ce qu'il y avait un côté bienveillant autour de la formation ou est-ce que c'était un peu un côté Koh-Lanta où il fallait vraiment, tous les mois, il y avait la peur un petit peu de se faire écrémer ?
JLE : Non mais c'était Il faut savoir qu’en 1971, L'INF, c'étaient les balbutiements de la formation. Sont venus à l'ISF pendant les deux ou trois ans, les futurs entraîneurs des centres de formation. Donc nous, on a été vraiment les cobayes. On a été les premiers quand la Fédé, à un moment donné, s'est décidée à dire : « Bon, il faut qu'on fasse quelque chose pour le foot français. Est ce qu'il ne faut pas les prendre les gamins plus jeunes ? » Tu te rends compte, nous, les plus jeunes, on avait 17 ans : il y en a qui étaient déjà dans le dans le monde du travail. Donc c’était une vraie révolution à l'époque.
Alors après il y a eu les centres de formation dans les clubs qui n'existaient pas avant. On a été les premiers à mettre à, comme je vous dis, à être les cobayes de cette nouvelle formation décidée par la Fédération. Après nous, on savait qu'on avait deux ans pour montrer ce qu'on était capable de faire. Mais on a appris, on a tout fait, nous, dans le foot, à l’INF : on a appris à jouer au foot, on a appris à devenir des hommes. On a appris à forcer le terrain ; les joueurs qui ne jouaient pas le week-end, ils faisaient le guichet, ils vendaient les tickets. Donc Pierre Pibarot avait ce truc dans la tête : « Il doivent tout connaître du foot s'ils veulent réussir. » Donc moi, moi j'ai tout fait, j'ai fait gardien, j’ai vendu des tickets... j'ai fait plein de choses, plein de choses, mais ça m'a appris, je vous dis à devenir un footeux, un homme aussi
Le PdL : Juste pour nos auditeurs, l’INF Vichy, c'était l'ancêtre de Clairefontaine, donc qui a été mis en œuvre pendant une quinzaine d'années à Vichy à ce moment-là, qui a, en 1988, qui existe toujours mais à Clairefontaine.
JLE : Pas à Clairefontaine. Maintenant il y a plein. Il y a plein de centres « nationaux », régionaux : tu en as en Bretagne, tu en as dans le Sud… à Clairefontaine. Et puis les gamins aujourd'hui, ils sont pris à l'âge de 12 ans, donc ils passent la semaine, dans leurs lieux respectifs et ils rentrent le week-end jouer, jouer dans leur club, nous non. Nous, on était plus vieux déjà, ça s'appelait l'Institut National de Football à Vichy. Ça s'appelait comme ça, on était au CREPS, à Vichy et nous on ne rentrait que pour les vacances scolaires.
Le Podcast des Légendes : Donc tu as dit que ça, ça dure deux ans, c'est ça, le cursus ? Et donc à la fin de la deuxième année, tu n’as quand même aucune assurance que tu vas continuer dans le dans le monde du foot en fait ?
JLE : Surtout qu’en cours de la deuxième année. Pibarot et Gérard Banide, qui étaient les entraîneurs, décident d'instaurer une troisième année : certains partent, au bout de la deuxième année dans les clubs pros. Et moi j'avais des petits soucis de discipline en deuxième année : je suis passé en conseil de discipline. Je faisais le con en anglais, mais rien de bien spécial. Mais c'est vrai qu’on était quand même en vase clos, on était au CREPS : pas de voiture à l'époque on ne sortait pas. Donc c'était un peu chaud au niveau de la discipline. Et en anglais à un moment donné j’ai sorti une bêtise, je sais plus trop quoi. Enfin la prof d'anglais m'a viré du cours Et les dirigeants enfin Pierre Pibarot et Gérard Banide ont dit : « Pour calmer tout le monde, il faut faire un exemple quelque part. » Donc je suis passé en conseil de discipline et là, franchement, je me suis dit : « Tu vas retourner à la maison, tu vas retourner au Cercle Paul Bert », d'après ce que j'entendais d'après ce que disaient les gens. Et j'ai dit : « Bon le conseil, discipline, la sanction, ça va être le renvoi. » Donc, je me rappelle, j’avais appelé mon père, mon père était venu, mon grand frère aussi.
Le Podcast des Légendes : Avec une batte de baseball ou… ?
JLE : Non. J’avais trouvé mon père hyper cool. J'ai perdu il y a un an, donc des fois ça…
Le Podcast des Légendes : Je comprends
JLE : Non, il avait été hyper cool. Donc je suis passé. Et puis la chance que j'ai eue, c'est que venait juste d'arriver un nouveau directeur au CREPS, à Vichy, qui s'appelait M. Forestier, je me rappellerai toujours son nom, qui a dit : « Écoutez, moi je ne le connais pas. Donc on va le mettre à l’essai trois mois. » Donc pendant trois mois, j'ai fait le canard, on ne m'a pas vu, on ne m’a pas entendu. Donc j'ai continué cette deuxième année.
Et puis Pibarot m'a appelé dans son bureau, il m'a dit : « Bon, écoute, Voilà, c'est simple l'équipe d'Haïti, (je ne sais pas si vous vous rappelez, mais qui a fait la Coupe du monde en 1974, qui était en préparation à Vichy), l'équipe d’Haïti nous a demandé de faire un match, donc c’est toi qui vas faire le match. Si tu es bon, tu fais la troisième année. »
Le Podcast des Légendes : Waouh ! c'est quand même… Les enjeux étaient quand même assez élevés ! quoi. Parce que si tu ne fais pas la troisième année, c'est quand même, j'imagine, difficile de trouver un job après non ?
JLE : Complètement. Mais je pense qu'il m'avait bien cerné. Il savait qu'il fallait un peu me titiller pour que… Donc ça s'est bien passé : je me rappelle, on avait perdu, je ne me rappelle plus le score mais ça s'est très bien passé. Donc il m'a fait faire la troisième année et puis ça s’est pas mal passé.
Il faut savoir qu’en deuxième année, en troisième année, on était inscrits dans les championnats régionaux. Donc il y avait un une équipe en DH, une équipe en PH. Moi, j'ai quasiment fait mes trois années en PH : je n'étais pas prévu ou pas suffisamment assez bon pour jouer dans les deux autres équipes. Donc voilà, après moi j'avais un peu les boules, mais c'était comme ça, c'était…
Le Podcast des Légendes : Alors justement, pourquoi, c’était quoi ? Qu'est ce qui te manquait pour aller dans l'équipe première, enfin dans l'équipe fanion ?
JLE : Je ne sais pas : est-ce que je traînais cette expulsion en cours d'anglais ? Un jour Gérard Banide m'a surpris à fumer, Donc tout ça fait que bon, j'étais pas le vilain petit canard, c'est pas ça, mais c'est un peu le rebelle de du groupe donc…
Le Podcast des Légendes : Le James Dean de Vichy, quoi ?
JLE Non, peut-être pas, mais donc voilà, après, j'ai toujours des : « Si tu fais ça, tu ça va, si tu fais pas ça, ça va pas, etc. » Mais j'ai bien vécu ça quelque part.
Et puis la chance que j'ai eue, c'est que, pendant la troisième année, il y avait justement les gens qui allaient s'occuper des centres de formation dans les clubs qui venaient pour voir, passer quatre ou cinq ou six semaines par an à Vichy. Suivant les thèmes, pendant, une semaine, il y a eu un thème : entraînement spécifique du gardien de but. Il faut savoir que Gérard Banide, pour la France a été précurseur de ça. Ils nous ont suivis pendant une semaine. Et puis, pendant une semaine, j'ai dit : « Ah bon ! ». Pendant une semaine, j’ai été au top !
Et puis il faut croire que ça a dû… J'ai dû taper dans l'œil du gars qui était à l’AS Monaco, mais je n'en sais pas plus que ça quelque part. Et en fin d'année, en fin de troisième année, Gérard Banide, pas Gérard Banide, Pierre Pibarot, directeur de INF m'appelle et me dit : « Voilà, il y a Monaco qui voudrait que tu ailles faire un match d'essai avec eux. C’est à Gerland : Monaco contre l’Olympique Lyonnais, deux belles équipes. » Et moi, j'ai dit que les joueurs de l'INF n’avaient pas besoin d’essai : ou on les prend, ou on ne les prend pas.
Le Podcast des Légendes : C'était un petit coup de bluff ou tu le pensais vraiment ?
JLE : Non, mais je pense qu'il était comme ça : pour lui, on était prêt pour lui un joueur de l’INF était prêt à jouer dans n'importe quel club. Il était prêt à faire 60 matchs par an, psychologiquement, techniquement, physiquement. Pour lui, c'était son truc. Non, non : l’INF, ou vous prenez, ou vous prenez pas, mais on ne fait pas d’essai.
Alors discute, discute. Il m'a dit : « Bon, tu peux y aller, mais tu ne joues pas sous ton nom. T’es pas un joueur de l'INF. » Je dis : « Bon. » Donc, j’y suis allé.
Chaque fois que je revois Bernard Lacombe, je lui dis : « Tu sais que tu as failli briser ma carrière quand même ?»
Le Podcast des Légendes : C’était quoi le pseudonyme, du coup ?
JLE : Charpentier. C'était le troisième gardien de but de l’AS Monaco. Donc j'ai joué sous le nom de Charpentier ce match-là…
Donc je suis arrivé au milieu de tous ces pros, c’était Alberto Muro l'entraîneur. Il m'a dit : « Bon, petit, avec son accent, petit, c'est toi qui joues la première mi-temps. » Je joue la 1ère mi-temps, ça se passe bien. On perd 1-0, but de Bernard Lacombe. Chaque fois que je revois Bernard, je dis : « Tu sais que tu as failli briser ma carrière quand même ! »
Je rentre au vestiaire en pensant. Je commence à enlever les chaussures. Alberto Muro me dit : « Mais qu'est-ce que tu fais là ? » Je lui dis :
« J’enlève mes chaussures.
— Tu vas jouer la deuxième mi-temps sans les chaussures ? »
Bien content de remettre les chaussures, j’ai fait la seconde mi-temps. Et puis ce match, 2 buts de Bernard Lacombe. Je rentre au vestiaire, je prends la douche toujours après un match. Et puis je vais à l'hôtel avec eux. Et puis M. Corvetto, le président de l'époque avant le docteur Campora et Alberto Muro me disent : « Mon petit écoute, tu finis de manger, tu montes dans ta chambre et on va réfléchir. Et puis on vient te trouver après. »
Donc, je suis monté dans ma chambre, il devait être 21h, 21h30. 22h30, toujours personne. Puis, avant onze heures, ils ont frappé à la porte, ils sont entrés : « Mon petit, tu vas chez toi, on a pris une décision : on va te faire signer stagiaire, » Voilà quand tu es assis, tu es content d'être assis parce que tu te dis : « Ma vie va changer, c'est Monaco ! » Donc c'est pas Beauvais, c’est pas Dunkerque, Brest ou… c'était Monaco. Voilà pour la petite anecdote.
Et j'ai reçu mon contrat pendant les vacances. Et puis le 2 août 1975, j'ai débarqué à Monaco.
Le Podcast des Légendes : Alors ton contrat, justement, tu le signes comment ? Parce que tu es tout seul, tu as de l’aide comment tu le revois, comment ça se passe un contrat stagiaire? Est-ce que tu as ce que tu as un agent par exemple ou pas du tout ?
JLE : Non, ça n'existe pas les agents cette époque-là ! Non bien content de signer. Mais tu t'en fous du nombre de de zéro ou de… tu signes tellement content de signer stagiaire pour deux ans, tu te dis, à 20 ans, tu es content, j'étais vraiment content quoi. Donc tu signes, tu ne sais même pas ce que tu vas gagner. Moi je me suis aperçu après, avec le temps que je j'ai signé un contrat où je gagnais le double de ce que les gars de mon âge gagnaient à Monaco. Donc pourquoi ? Je ne saurai jamais. Bon voilà, la somme, c'était ça. Et puis pas d'agent, pas de... Tu es tellement content de signer que tu es prêt à signer n'importe quoi, tout simplement.
Le Podcast des Légendes : Et qu'est-ce qui t’émoustille le plus avec Monaco à l'époque ? C'est la grosse équipe ? Le climat ? C'est le côté Monte-Carlo, c'est tout ? C'était juste l'aspect sportif pour quelqu'un qui a 20 ans ?
JLE : C’était que l'aspect sportif quelque part ! Il faut savoir que Monaco, à cette époque-là, c'était pas non plus… Moi j'avais regardé un peu l’historique, je savais qu’ils avaient été champions, mais ça remontait à loin : c'était plutôt une équipe qui faisait l'ascenseur quelque part. Donc, et puis et puis c'était ma seule porte de sortie : une porte de sortie Principauté de Monaco, tu es quand même content tu vois ! J'avais eu aussi, en fin de troisième année, Cahuzac qui était venu me voir pour me dire : « Bon, si notre gardien réserviste s'en va, on aimerait bien que tu viennes à Bastia ». Mais le gardien réserviste n'est pas parti. Donc ma seule ma seule porte de sortie c'était l’AS Monaco. Donc, je n'allais pas faire la fine bouche non plus. Donc voilà,
Le Podcast des Légendes : Et toi ça te permettait de revenir un peu dans le dans le Sud où t'étais né. Est-ce qu'il y avait un côté retour aux sources ou pas du tout ?
JLE : Pas du tout. Enfin, c'est pas un truc qui m'avait effleuré l'esprit à ce moment-là. Si, j’avais envie d’aller dans le Sud, mais je me répète, mais c'était ma seule porte de sortie donc bien content d'y aller.
Le Podcast des Légendes : Et Monaco le savait à cette époque-là que c'était ta seule porte de sortie ? C’est-à-dire, ils avaient un peu toute la… ils auraient pu vraiment te donner un contrat misérable, tu l'aurais signé dans tous les cas, si je comprends bien ?
JLE : Oui mais je pense que c'était pas dans les mœurs du football. Ils ont pensé que je méritais ça. Ils m'ont donné ça. Moi, je n’avais pas de pied… rien du tout. Donc, ils n'ont pas essayé de dire : « De toute façon t'as pas le choix, viens chez nous. C'est toi qui vas nous payer. » Je crois que j'avais tapé dans l'œil du gars qui allait s'occuper de la formation... et puis voilà, c'est tout. Est-ce qu'ils ont pensé que je méritais plus que les autres ? J'en sais rien, mais en tous les cas, il est clair que au niveau des joueurs qui sont arrivés à cette époque-là Monaco, on était quatre, cinq. J’étais le seul qui avait fait un essai contre un club de Ligue 2, j’allais dire de Ligue 1, enfin de division une en tout cas.
Le Podcast des Légendes : Et alors, est-ce que tu te souviens qui étaient les autres gardiens quand tu arrives et que tu es stagiaire gardien. Qui était devant toi ?
JLE : Il y avait ce fameux Charpentier. Il y avait Yves Chauveau, Charpentier et moi. Donc, à cette époque-là déjà, tu n’avais de gardien de but remplaçant, avec 13 joueurs sur la feuille de match. Donc tu ne pouvais pas être considéré comme le deuxième. Donc voilà, c'était comme ça.
Après l'équipe réserve de l'AS Monaco à cette époque-là jouait en division d'honneur. Donc j’ai joué en division d'honneur pendant deux ans. Donc j'ai débarqué à Monaco le 2 août 1975. Quelqu’un est venu me récupérer à la gare puis, M. Benali, je me rappelle, m'a amené à pied, une petite valise je me rappelle, m'a amené à pied. Dans l’appartement que j'allais occuper avec…C'était un appartement avec quatre chambres, avec trois autres collègues qui venaient aussi de l’INF : il y avait Léonard, Buresi et Brécheteau : des gars qui avaient fait l’INF avec moi. Donc voilà, à peine arrivé, je suis parti en stage avec l'équipe une, je me rappelle. Et voilà, mon aventure avec Monaco a commencé comme ça.
Le Podcast des Légendes : Et quel est ton état d'esprit à ce moment-là ? Est-ce que tu te dis : « Ça y est, je suis arrivé, je me vois vraiment installé là-bas pendant de longues années ? » Ou est-ce que tu n’es encore pas certain que tu vas pouvoir faire carrière ? Comment tu te sens à cette époque-là ?
JLE : D'abord super bien, parce que j'ai deux ans qui sont bookés, on va dire ça comme ça déjà. Et puis une vraie envie…. Et c'est vrai que l'INF nous avait aussi un peu servi à ça : quand tu débarques en Principauté, tu t’entraînes sur un stabilisé et tu vois les gars qui sont là depuis… pas des stagiaires, mais qui vivent déjà un peu du foot, des jeunes comme nous qui s'entraînent en short, en manches courtes. Et toi, tu arrives, on dirait un bibendum parce que tu sais qu'il va falloir que tu montes et tu plonges même sur le dur. Donc nous, on était habitués à ça, à Vichy. Donc c'est vrai que les mecs, ils ont vu arriver, ils m'ont dit, ils ont dit : « Mais c'est un extraterrestre celui-là ! Il plonge partout, sur du tuf. » C'est vrai qu'on avait la mer pas loin : il n’y avait qu’à tourner la tête et voir la mer. Mais voilà, moi je savais pourquoi j'étais là. Je savais, l'envie que j'avais de montrer. Et voilà. Donc moi, la grande force que j'ai eue, c'est que je n’avais pas le choix : c'était le football ou quoi ? Je cherche encore. Donc, à partir de là, j'ai toujours été au taquet tout le temps, tout le temps, tout le temps.
"Une journaliste avait dit [que j'étais une] « petite boule jaune qui sautait sur tous les ballons » "
Le Podcast des Légendes : Alors question qui fâche un tout petit peu, Jean-Luc : est-ce qu’à ce moment-là ta taille est un problème ou le fait que tu ne sois pas un Golgoth, ça pose un problème ou pas du tout ?
JLE : Moi dans le jeu, ça ne posait pas de problème. À cette époque, j'avais pas ce sentiment d'avoir des limites : j'avais des jambes j'avais vraiment, j’allais vite, donc… Et au niveau des gens qui s'occupaient de moi non plus, je n'avais pas l'impression que euh, parce que j'étais une petite… la journaliste avait dit, à ce moment-là, une « petite boule jaune qui sautait sur tous les ballons ». Mais c'est un peu ça, donc…
Le Podcast des Légendes : Tu avais une sacrée détente sur tout, ce qui compensait pas mal pour la taille !
JLE : Un peu malin, j’anticipais beaucoup : c’était mon jeu à l'époque. Un peu à la Giroud souvent, mais ça passait, ça me réussissait, Donc j’ai pas senti, dans les yeux des gens avec qui j'avais affaire dans le travail, une défiance par rapport à ma taille, pas du tout. En plus, c'était pas une obligation. Aujourd'hui tu dis : « Voilà, bonjour je m'appelle JLE, je m’occupe d’un gardien de but il est super ! » La première chose qu'on va te demander, c'est combien il mesure : si tu dis 1m73, il raccroche. C'est sûr que c'est plus possible aujourd'hui ; avant, c’était possible.
Le Podcast des Légendes : Alors justement tu es un peu le James Dean qui va à Monaco. Est-ce qu'il n'y a pas un choc des cultures entre toi et la Principauté au début ?
JLE : Parce que tous les deux, vous connaissez la Principauté d'aujourd'hui peut-être, mais pas la principauté en 1975. C'était un endroit super à vivre. C'était un gros village, c'était ce… il n'y avait pas ce… En tous les cas, il n'y avait pas ce qui choque les biguines d’aujourd’hui. Moi, tous les matins je traversais le marché, j'étais apostrophé par les gars : « Jean-Luc, viens manger un morceau de raisin… », ce qui n'existe plus aujourd'hui : moi ce que j'ai connu était complètement différent de ce qui est aujourd'hui. Je préférais celle d'avant, mais bon, ça c'est…, j’allais dire « c'était mieux avant », c’est pas forcément ça, Mais la Principauté, c’était top !
Le Podcast des Légendes : Et donc comment se passe ta première, ta première saison ? Est-ce que, tu ne joues pas énormément d'après mes souvenirs, d'après mes sources.
JLE : En équipe, je ne joue pas du tout. Je joue un match, 21décembre 1975, contre Bordeaux parce qu'Yves Chauveau se blesse et c'est moi qui fais le match. Là, on prend trois buts : un match pas mauvais, mais pas non plus extraordinaire. Je fais toute ma saison avec l'équipe réserve en division d'honneur, tout simplement.
Le PdL : Et quel est ton état d'esprit juste justement, avant le premier match, quand tu sais que le gardien titulaire est blessé : est-ce que tu te mets une pression de dingue ou est-ce que tu te dis que c'est un match, que ta chance viendra, que ça se passe bien ou pas, ça ne devrait pas affecter ton avenir ? Quel était ton état d'esprit
JLE : De de faire un bon match quelque part, mais c'est tout. Ça n'allait pas plus loin : j’ai pas eu l'impression de penser à l'avenir sur ce match-là, parce que je savais que ma première année que j'étais dans le club, j'avais encore une année. Après donc j'étais même pas dans l'idée de dire : « Tu vas faire un gros match. Tu vas prendre la place de titulaire. » Je n'étais même pas dans cet esprit-là.
Le PdL : Tu étais très au jour le jour !
JLE : Complètement.
Le PdL : Donc tu fais une première année classique c'est à dire que tu es dans l'équipe réserve. Commence ta deuxième année, ta dernière année de stagiaire Est-ce que là, tu as un peu plus de pression ?
JLE : Pas au début. Je fais une bonne saison en division une… en division d'honneur, je fais une bonne saison mais, arrivée la fin de saison, je me pose des questions quand même. Sauf que le club me propose un contrat professionnel quand même. Mais je me dis en signant professionnel, je savais que je n'allais plus avoir le droit de jouer en en équipe réserve parce qu'elle était en division d’honneur, les règlements de la Fédé. Donc pour moi c'était un vrai casse-tête.
En plus à l'époque il fallait savoir qu'on n'avait pas le choix. Le club te proposait ton premier contrat professionnel, c'était cinq ans et je ne me sentais pas… cinq ou sept ans... Il faudra vérifier mais cinq ou sept. Donc là tu te dis : « Je ne peux pas jouer en réserve, je ne vais pas jouer en pro a priori donc, ça, on était en 1977.
Donc j'ai dit non, j'ai dit au président : « Laissez-moi partir, je ne veux pas jouer. » Il m'a dit : « Non, on ne te laissera pas partir, tu n'as pas le choix : ou tu signes pro, ou tu ne peux pas signer pro ailleurs. » C'était le règlement avant, c'était ça : tu ne signais pas dans le club qui l'avait formé, tu ne pouvais pas signer pro. Alors je crois que le contrat, c'était cinq ans : si tu ne voulais pas signer ce contrat de cinq ans, tu ne pouvais pas signer pro ailleurs pendant sept ans. Il faut vérifier les règlements. C’est un truc, à un moment donné., tu te dis : « Bon ça va, je reste. » Tu n'as pas le choix. Mais vraiment une décision… Je n'étais pas malheureux, c'était pas le souci. Mais bon, par force, tu acceptes, tu signes ce contra.t
Le PdL : Ben oui.
JLE : Tout en sachant que tu ne vas pas jouer beaucoup. Ça, ça m’emmerdait parce que ce que j'aimais, j'aimais l'entraînement…. Mais ce que j’aimais par-dessus tout, c’était jouer des matchs donc…
Et puis le destin, la bonne étoile que j'avais depuis un certain moment, aussi bien le Cercle Pau Bert, quand ils ne me font pas jouer à Vichy, le test que j'ai passé peut-être contre Haïti…Et ma bonne étoile, il faut croire qu'elle était au-dessus de moi.
Et puis, pendant le stage de préparation, juste à la fin du stage ou un peu après le stage, Yves Chauveau, donc le gardien de but titulaire de l’AS Monaco se fait une pizza comme on se fait, tous les gardiens de but : on s'arrache un peu le côté sur le terrain, un peu le dur du de l'été, mais ça s’infecte. Donc il ne peut pas faire le premier match. C'était à Bastia, c’était au mois d'août aussi, 1977. Et l'entraîneur de l'époque, Lucien Leduc vient, il me dit : « Bon, c'est toi qui vas jouer. »
Alors c'est un clin d’œil de l'histoire, un premier match en pro, le vrai premier match : il y a eu Bordeaux mais c’était anecdotique. Le vrai premier match, c'était à Bastia, en Corse, donc chez moi. Donc je fais ce premier match-là et pendant vingt minutes je passe au travers, mais grave. Furiani plein. Il faut savoir que Bastia à cette époque, en 1977, ils avaient une équipe, c’était l’année où ils vont en finale de la coupe UEFA. Ils avaient une sacrée équipe. Je passe, pendant vingt minutes, je passe au travers mais je ne prends pas de but, toujours ma bonne étoile quelque part. Et Delio Onnis marque : on mène 1-0 à la mi-temps. Et je rentre, à la mi-temps en disant : « Je vais être mangé, haché menu ! Et puis tous les gars ont été supers et je rentre, je fais la deuxième mi-temps, j'aurais pu arrêter des billes. Alors pourquoi je suis passé de rien ? On ne saura jamais, mais c'est la beauté du sport, du foot en particulier : Delio marque et puis on gagne 2-0.
Et moi content, je me rappelle, Lucien Leduc, à l’époque, il m'a dit : « Bon, je sais que tu aimerais bien aller voir tes parents qui sont en vacances au village en Corse, donc je te laisse deux jours. » Donc j'ai été au village à côté d'Ajaccio. Donc bien content. Tout le monde était content.
Après je suis rentré à Monaco. Et donc la blessure d’Yves Chauveau n’était toujours pas guérie, donc j'ai enchaîné, on a joué, je me rappelle, Nancy à la maison : on gagne 2-0. On va à Bordeaux, on gagne 4-0. Je ne prenais pas de but, mais plus ça allait, plus je prenais confiance en moi.
On reçoit Marseille à la maison, Strasbourg la maison, on gagne 3-2. On va gagner 1-0 à Reims. Donc je m'étais installé l'équipe ! Donc j'ai gagné ma place comme ça, bien content.
"« Mais non ! C'est hors de question. On a envie que ce soit le gamin qui joue ! » Rolland Courbis, Dellio Onnis, Jean Petit et Christian Dalger"
Le PdL : Sur une mauvaise pizza !
JLE : Ouais, mauvaise pizza. Mais, comme quoi il y a toujours un petit retour du bâton, juste avant la trêve, deux ou trois matchs avant la trêve, je me blesse à la cheville et donc l'entraîneur fait jouer Yves Chauveau…Normal. Mais ça se passe plutôt bien. Donc il y a la trêve, on part en vacances, on revient. Et puis, de retour de la trêve, Lucien Leduc nous convoque tous les deux, Yves et moi et il commence comme ça : « Bon Jean-Luc toi, t'es l'avenir du club. » Alors quand l'entraîneur il commence à te dire « toi, t'es l'avenir du club », c’est-à-dire que t'es mort sur le coup.
Sur l'instant, j'ai bien compris le message. Il m'a dit : « Bon, j’ai décidé de faire continuer Yves. » J’avais un peu les boules quand même. Parce qu’en plus l'équipe tournait, il faut savoir qu'on était en haut du classement. Donc j’ai dit : « Tu es jeune, pas de problème, c'est comme ça ! » On s'en va de de la pièce Et puis, je vois entrer dans la pièce, il avait convoqué aussi un peu les barons de l’équipe : Courbis, Jean Petit, Delio Onnis. Il y avait aussi un quatrième, je me rappelle plus, c’était Christian Dalger ou… pour leur annoncer cette situation-là. Et ces quatre lascars, ils ont dit : « Mais non ! C'est hors de question. On a envie que ce soit le gamin qui joue ! » Donc il a été obligé de changer de rappeler Yves, de dire : « Bon, ben Yves, écoute, voilà, c'est comme ça. » Je ne vous cache pas qu’Yves Chauveau a fait la gueule après, c’est normal. Donc c'est moi qui continué à jouer. Puis ça s'est bien passé.
Le PdL : Comment tu as obtenu, justement, l'assentiment de, un peu, des lascars, des patrons de de Monaco ? Parce que j'ai l'impression que tout est naturel chez toi : il n'y avait pas de volonté particulière.
JLE : Non, mais c'est parce que je pense que c’était parce que j'étais performant…tout simplement, je pense que c'est ça. Eux, ils ont, à tort ou à raison, on va dire a raison quand on voit le résultat pour finir : peut-être qu'avec Yves ils auraient été champions quand même. Mais j'étais persuadé qu'avec moi, ils pouvaient aller au bout.
Parce qu’après c'est devenu, France Football avait titré « le gag de l'année ». Quand on est champions, on sortait de nulle part : on montait de seconde division. Et nous, on s'était pris au jeu quelque part. Il faut croire qu'ils m'aimaient bien : j'étais le petit jeune, j'étais chouchouté par ces gars-là. Et je pense de par mon jeu, je leur apportais aussi beaucoup sûrement. Sinon, ils n'auraient pas pris cette décision d'aller contre l'avis du coach !
Le PdL : Comment ça se gère une compétition, la concurrence avec un autre gardien dans l’équipe ? Est-ce que secrètement, quand l'autre gardien fait une grosse, une grosse cagade, est-ce qu'on est un petit peu content ? Ou comment… ça ne doit pas être évident à gérer, j'imagine.
JLE : C'est sûr que c'est pas évident, mais à partir du moment où tu sais qu’il y a une hiérarchie, tu ne pourras t’imposer que s'il y a une grosse indisponibilité du titulaire : même s'il fait une erreur, tu sais que… J'ai connu ça après. Moi, j'ai eu des mauvais passages qui ont duré ou trois mois, mais j'avais un tel vécu qui fait que l'entraîneur ou les dirigeants ne remettaient pas en cause ce statut-là. Il n’y a que vraiment une grosse blessure qui peut faire que, à un moment donné, tu perds ta place, quand tu es vraiment installé dans une équipe.
Donc ça a été le cas avec Yves : il était installé dans cette équipe. Et puis moi j'ai joué et plutôt bien. Et puis on avait des résultats et puis, et puis, et puis, et puis… Voilà maintenant que j'ai jamais connu…Ca fait un peu le mec à boulard, cigare… mais je n'ai jamais été remplaçant. Moi. Donc j'ai du mal à me mettre à la place du gars qui qui me voyait jouer, qui disait : « Bon, il n'est jamais blessé. Comment je vais faire pour gagner ma place ! » Après c'est un état d'esprit. Je pense que la doublure il y a un moment donné, il doit dire : « Il ne peut pas lui arriver quelque chose à lui que je petit peu ! »
Le PdL : Surtout après un record d'apparition Je pense le deuxième gardien je dire ça va être compliqué !
JLE : C'est humain en plus, je ne me suis jamais trop reposé sur ce statut-là. Je savais trop que le travail de la semaine aussi, était important pour montrer que tu étais là et bien là.
Le PdL : Alors tu gagnes, justement, le championnat de France pour ta première année de titularisation, est-ce qu’à ce moment-là tu penses à l’équipe de France ou pas du tout ?
JLE : Mais ça avait été 1977/78 : il y a l'Argentine, il y avait les 40 et je suis dans les 40 parce qu’on est champions de France. Alors maintenant, je ne me fais pas d'illusions. Je sais que je suis dans les 40, mais je ne me fais pas d'illusion du tout : l'équipe de France, pour moi, c'était loin. Je venais à peine de commencer à jouer. J'ai été champion de France, je ne sais même pas si j'ai mesuré à sa juste valeur sur l'instant T, quand l’arbitre siffle. Alors tu es content, tu sais que tu es champion : quand tu es champion junior, il y a tout le monde qui est content. J'ai vraiment, sur l'instant T, non.
Le PdL : Tu ne te rends pas compte de la difficulté que c'est d'être champion de France !
JLE : Non, Et sur cet instant-là, après, quand il y a tout ça, je rentre au vestiaire et je vois tout tous ces vieux qui pleurent et qui me regardent et qui me disent : « Mais aujourd'hui, on est champion de France ! Nous, ça fait quinze ans qu’on attend ça ! »
Le PdL : Oui.
JLE : Avec dans un club qui faisait l'ascenseur, et à ce moment-là que tu te dis : « Oui, c’est quand même important ça ! » Donc, voilà après… Mais à aucun moment je n'ai pensé à l'équipe de France : c'était très loin, très loin… bien content d'avoir fait ce que j'avais fait.
Le PdL : Personne, dans ton entourage te dit : « Jean-Luc tu es gardien titulaire de l'équipe championne de France. Bien sûr que tu as ta place dans les 22 » ?
JLE : Non. Je n'y pense même pas, donc j’ai pas à faire en sorte que les gens me posent la question. J'avais aucune pensée. Et jamais personne non plus, même dans le club, m'a dit : « Tu mériterais d'y aller ! » Même ceux qui sont partis comme Jean Petit, Christian Dalger, qui jouaient avec moi. Jamais, ils ont pensé que, jamais ils n’ont abordé ce sujet avec moi. Jamais, jamais de la vie ! Pourquoi ? Je n’en sais rien mais je sais parce que moi, je… les seules gens qui m’ont parlé de l'équipe de France, c'est un peu comme ceux qui ont, avec le Qatar, qui ne sont pas foots. Ils ne savent pas ce que c'est que de disputer sur une compétition. Ils m’ont dit : « Vous n'avez pas y aller Monsieur Ettori, si vous êtes sélectionné ! Ils ont enlevé les prisonniers des stades, là-bas pour faire des matchs de foot. » Donc c'est les seules personnes qui m'ont parlé de l'équipe de France à ce moment-là quoi, mais pas les gens du foot, pas les gens qui jouaient avec moi et pas ma famille. Personne ne parlait de foot et de l'équipe de France à ce moment.
Le PdL : Après, tu enchaînes et là, pour le coup, j'ai envie de dire que tu as mis véritablement le bus devant le but, c’est-à-dire que…
JLE : 17 ans.
Le PdL : Pendant deux, trois décennies, tu gardes le poste de gardien de but à Monaco : en fait, cette première saison, champion de France ça t’installe véritablement comme le patron de du gardien de but pendant 20 ans !
JLE : Pendant 17 ans, j'ai joué pendant 17 ans en étant titulaire à l’AS Monaco. J’ai tout fait pour, dans le travail tous les jours. Et puis 17 ans qui ont passé à une allure vertigineuse. Mais je faisais en sorte d'éteindre la concurrence à chaque fois. Après, dans le temps, tu sais qu'il y a des moments forts dans une saison qui marquent les esprits pour avoir une certaine carte blanche pour après.
Et ma bonne étoile a fait que j’ai su marquer les esprits, de temps en temps, quand il fallait, pour continuer à ce que mon statut titulaire, soit à jour.
"J’étais à Monaco dans un endroit plus que sympa et on jouait les premiers rôles tout le temps ! Et l'arrêt Bosman n'existait pas. Donc, si je partais à l'étranger, je rentrais dans le quota des deux étrangers. Donc ce n’était même pas quelque part envisageable."
Le PdL : Alors c'est intéressant ce que tu dis sur les temps forts parce qu'on avait Olivier Dacourt sur le programme il n’y a pas très longtemps, et il me disait que Franck Sauzée lui avait dit lui-même, qu'il fallait vraiment être performant début mars jusqu'à la fin juin pour taper dans l'œil, pour les périodes internationales et aussi dans le cadre des transferts, justement parce que c'était là que les transferts pour la saison d'après se faisaient.
Toi qui as été l'homme d'un seul club, est-ce que tu avais un petit peu cet état d'esprit de se montrer à des périodes particulières où c'était juste pour les gros matchs ? Quand tu dis les « moments clé », c'est quoi exactement ?
JLE : Ça dépend, tu ne prends pas le calendrier, tu dis : « Là il faut que je sois bon, là, il faut que je sois bon… » Là, non, c'est pas grave si je ne le suis pas, c'est pas ça. Il y a des matchs, il y a certains matchs, il faut que tu dises : « Oui, je suis là, les gars. Vous pouvez compter sur moi, je suis là. »
Après, tu les choisis pas forcément les matchs. Moij'ai du mal à m’en sortir comme ça, mais il y a des matchs qui sont importants, qui peuvent te faire basculer d'une moitié de classement à l'autre moitié. Il faut que tu sois présent, parce que tu sais que ce match-là va décider de... pas ton avenir, c'est pas ça. Parce qu'il faut savoir que nous, à l'époque, les transferts, les machins, l'arrêt Bosman n'existait pas. Tu n’avais droit qu'à 2 étrangers, tu ne pensais même pas partir ! En plus, moi, j'ai joué dans un club, la période où j'ai joué, j’ai dû jouer que 2 saisons en dessous de la 5e place, donc je n'avais pas de raison d'aller voir ailleurs !
J’étais à Monaco dans un endroit plus que sympa et on jouait les premiers rôles tout le temps ! Et l'arrêt Bosman n'existait pas. Donc, si je partais à l'étranger, je rentrais dans le quota des 2 étrangers. Donc ce n’était même pas quelque part envisageable.
Le PdL : Tu n’as jamais flirté avec un club étranger ou avec un autre club en championnat de France ?
JLE : À la fin, le jour où j’ai été chassé par Paris en 1982, je n'avais pas une grosse envie, donc j'ai pas donné cours à la discussion, puis Paris à l'époque, ce n'était pas un club phare du championnat. Moi, j'étais dans un bon club, un très bon club, même.
Le PdL : Et c'était le PSG ou le Matra ?
JLE : Le PSG, Daniel Hechter, enfin le début du PSG. Et après, à 39 ans, quand j'ai décidé de m'arrêter, le Galatasaray voulait que j'aille faire un an. Mais j’avais 39 ans. J'ai dit non, je suis plus assez… Le problème, c’est que, il y a un moment donné, tu sais que tu peux ne pas faire d'erreurs, mais si tu n’es plus décisif, ça ne m'intéressait pas. Alors tu plonges, touche la balle et tu ne la sors pas, c'est pas, c'est pas un truc qui me…
Le PdL : Même Charpentier n'était pas prêt à aller à Galatasaray ?
JLE : Non, c'était un gros changement pour la famille… Donc j'avais décidé dans ma tête de m'arrêter et puis c'était Monaco ou rien. Mais comme j'avais, j'avais décidé que c'était fini aussi Monaco, donc c'était pas… Il n'y avait pas d'envie particulière de continuer pour continuer, non.
Le PdL : Alors, au cours de ces 17 années de bons et loyaux services à Monaco, quels étaient pour toi les joueurs phares ? Quels sont ceux sur ces 17 années t’ont impressionné à Monaco ?
JLE : Ouais, non mais je vais essayer. Allez, je vais essayer, je vais dire, parce que moi, j'ai joué avec trois générations, alors je vais essayer d'en sortir un de chaque génération. Moi je vais dire Delio Onnis parce que c'était le buteur, c'était de cette génération. Je pourrais dire Christian Dalger aussi, parce que c’était un sacré mais vraiment un sacré joueur de foot ! Donc pour cette génération-là.
Après, la génération d'après, il y a des générations qui se sont un peu chevauchées, donc je vais dire Manu Amoros qui avait… C’était un peu à cheval avec la troisième génération. Après il y en a eu plein : Glenn Hoddle. Il y a eu George Weah
Après les plus jeunes que j'ai connus, mais ils étaient chez les jeunes à Monaco, comme David Trezeguet et Thierry Henry. Moi, je n'ai pas joué avec eux, mais j'ai joué avec les derniers champions du monde, comme dirait, qui j'ai joué, c'est Manu Petit, Lilian Thuram et Youri Djorkaeff.
Donc, non, j'ai eu la chance de côtoyer vraiment de de très, très, bons joueurs. Je pourrais parler de Soren Lerby à l'époque, je pourrais parler de Ramon Diaz, enfin plein, plein, il y en a plein qui sont passés, mais si je devais en sortir un de de ces 17 ans, c'est Glenn Hoddle, mais sans hésitation.
Le PdL : Alors pourquoi c'est quoi le critère de… ?
JLE : Parce que je pense qu'à l'époque où il était à Monaco, c’était 1987/88, 1988/89, (après il s’est blessé) : Platini venait de s'arrêter, c'était la fin de Maradona. Je pense sincèrement qu'on a eu le meilleur joueur du monde. Il serait allé en Italie, on aurait dit : « c’est le meilleur joueur du monde ». Il savait marquer des buts, il savait faire des passes… super mec. Enfin, il avait tout pour, c'était top niveau, c'était un top joueur ! L'arrêt Bosman n'existait pas encore.
Et nous, on a eu la chance de taper, de tomber sur deux mecs complètement différents, pas au niveau état d'esprit parce que c'étaient des Anglais.
Le PdL : Marc Hateley et Glenn Hoddle ?
JLE : Et Glenn Hoddle. Mais Glenn, pour moi, ça a été le meilleur joueur que j'ai passé avec Monaco. On pourrait parler de George Weah, qui a été Ballon d'or après, mais qui n'était pas le joueur, le George Weah qu'il est devenu en passant par Paris et Milan.
" Le plus gros chambreur? Manuel Amoros chambrait pas mal. Delio Onnis chambrait pas mal aussi. Et après, j'ai acquis un statut ou les mecs disaient quand même : « On ne va pas chambrer tonton quand même. »"
Le PdL : En tant que gardien, qu'est-ce que tu apprends des joueurs de champ sur leur attitude, leur mentalité, leur façon de préparer les matchs, leur façon de s'entraîner ?
JLE : Une anecdote : quand j'ai commencé à l’As Monaco, quand ils faisaient des séances de frappe ou des… il y en avait un qui restait toujours devant moi, c'était Delio Onnis, quand je relâchais. Et donc tu apprends à ne pas relâcher trop souvent parce que voir un Italo-argentin, donc quand il la met au fond, toi, tu savais qu’il la mettait au fond, mais tout le monde savait aussi. Donc, il chambrera, il chambrera, tu apprends, là aussi, avec Glenn Hoddle. Mais tu savais que j'avais un moment précis où tu pouvais mettre ton poing en avant : si tu le faisais trop tôt, tu pouvais être sûr que tu la mettais par-dessus…Tu apprends plein de choses dans le travail quotidien, pas forcément dans la discussion, dans le travail quotidien. Tu prends tout ce que… tu arrives à l'entraînement, tous les buts que tu prends l'entraînement à cause de ces joueurs-là, tu essaies de ne pas les reprendre en match
Et c'est vrai que le travail quotidien te pousse à… En plus, moi, j'étais passionné par, je le suis toujours par ce poste. Donc quand on est passionné, on va toujours un peu plus loin dans l'analyse, et pourquoi si un ballon qui vient de la gauche, un droitier le plus simple, c'est qu'il va croiser. Donc tu… Et moi je n'existais de par ma taille, on revient à ma taille, que par cette espèce de d'anticipation qui était d’une demi-seconde parce que tu ne pouvais pas partir trop vite : tu pars trop vite avec Djorkaeff, au lieu de faire ça, il te met le plat du pied, et la balle est de l'autre côté.
Donc j'ai beaucoup travaillé ça parce que c'était, quelque part, ma raison d'exister de par ma taille, etc., à ce poste-là. Donc il fallait que je sois performant. Donc c'est vrai que ces joueurs-là m'ont apporté beaucoup, plus dans ma façon de les regarder qu'autre chose. Après, dans le travail aussi, parce ça chambre pas mal. Donc t'as pas envie d'être chambré. Moi je n'aimais pas être chambré, donc il fallait que je sois aussi performant le lundi, le mardi, le mercredi, le jeudi, le vendredi et ça me servait à être performant.
Le PdL : Le plus gros chambreur de Monaco, c'était qui ?
JLE : Il y en a eu, il y a eu quelques-uns : Manuel Amoros, il chambrait pas mal. Delio Onnis chambrait pas mal. Et après, j'ai acquis un statut ou les mecs disaient quand même : « On ne va pas chambrer tonton quand même. »
Le PdL : Oui, à 30 ans à 35 ans, bon… c’était moins…
JLE : J’étais méchant comme la teigne.
Le PdL : Est-ce que toi, tu étais un chambreur aussi ?
JLE : Un peu quand même.
Le PdL : Ta cible, c’était qui ta cible favorite ?
Le PdL : Ta tête à claques ?
JLE : Pas tous, mais quelques-uns, je les chambrais parce qu’ils me chambraient donc…
Le PdL : Quand tu dis que tu étais méchant ?
JLE : J'étais mauvais perdant.
Le PdL : D'accord,
JLE : Oui, il fallait que le ballon ait touché le filet pour que je dise qu’il y avait but. Mais non, j'étais mauvais, perdant tout le temps, tout le temps, tout le temps. Et puis s'il y avait des exercices face-à-face, ça arrivait souvent, moi, il ne fallait pas me faire un petit pont. Et puis je n'avais pas d'états d'âme : pour moi, c'était comme en match, même si c'était mon meilleur pote en face. S’il fallait aller au casse-pipe, j’allais au casse-pipe. Voilà, en gros, c'est ça. Il y a eu, ça m'est arrivé dans un exercice, c'était, j'avais 37 ans déjà, capitaine de Monaco, Arsène Wenger, l'entraîneur. Et on fait un exercice de centres, je crois, et c'est Franck Dumas, je crois, je ne sais pas si vous vous rappelez tous les deux…
Le PdL : Le défenseur central, ancien de Caen.
JLE : Voilà, je sors. Et là, c'est une des rares fois où j'ai eu peur de lui faire mal. Je me suis arrêté. J’ai dit : « Attention ! ». Mais lui, il me fait une espèce de louche, enfin de pirouette : il met son pied derrière comme ça, il me passe le ballon par-dessus et il marque. Et là, tous les gars, ils l'ont chambré sur ce coup-là. Et là, il m’est venu une paire de boules, j'ai dit : Les gars, le premier qui vient, je le fracasse. » Il y en avait un qui s'appelait Benjamin Clément, qui était un jeune, (c'est pas parce que c'était un jeune, ça aurait été un vieux, ça aurait été pareil), je l'ai fracassé !
Le PdL : Alors est ce que tu peux nous donner des détails ? Ça veut dire quoi fracasser ?
JLE : Je l'ai fracassé, il était par terre. Il se tordait de douleur. Après, il s’est relevé, il n’était pas blessé. Et Arsène Wenger, il m'a fait comme ça : « Rentre au vestiaire. Dépêche-toi, rentre au vestiaire » En pleine séance ! C’était avec l’AS Monaco, j’avais 37 ans. « Rentre au vestiaire ! » Je suis rentré au vestiaire. « Tu viens me voir après l'entraînement. » Je rentre à La Turbie, il faut savoir qu’il y avait deux terrains d'entraînement, j’ai traversé tous les deux terrains. Je suis allé au vestiaire. Il m'a appelé, après l’entraînement. Il m'a dit :
« T'as pété les plombs ou quoi !
— Vous me connaissez ! Vous savez que s’il y en a un qui le refait, je vais recommencer. » Il m'a dit : » Oui, c'est ça qui m'inquiète ! »
Et puis on s'est séparés, il a rigolé. Il a dit : « Bon, il fallait bien que je te sorte quand même pour qu’on se voie. Mais plus personne n'a fait le petit truc après.
Le PdL : Cette petite louche. Mais j'imagine que c'est cette hargne qui t'a permis de conserver cette longévité quand même !
JLE : Sûrement, parce que ça m'a poussé à, ce que je disais tout à l’heure, de regarder, de rester bien physiquement, de, de bien travailler la semaine parce que je savais que si on faisait une bonne semaine, au moins, je n'aurai rien à me reprocher le week-end. Et quand tu sais que t'as tout fait la semaine, tu abordes le match du week-end plus sereinement, sereinement oui, sereinement. Même si j’ai toujours eu le trac : il n'y a pas un match où je suis rentré à me dire : « je vis le moment ! » Non, non, j'ai toujours eu le trac avant d'entrer sur le terrain, c'était comme ça ! Je passais, je m'habillais, je me rappelle, au stade Louis II, il y avait au moins il y avait une salle, la salle où on s'habillait tous : le vestiaire. Il y avait une table, et je tournais autour de la table. J’avais les crampons, je cassais les bonbons à tout le monde. Mais c'était ma façon de déstresser. Voilà, j'avais le trac tout le temps.
"Je fumais ma cigarette à 19h30, une heure avant [le match]."
Le PdL : Et tu parles pas mal de tas de ta bonne étoile. Est-ce que tu avais des superstitions, au-delà de de marcher autour de la table avec tes crampons ? Est-ce que tu avais un petit rituel particulier pour les grands matchs ?
JLE : Je ne sais pas si ça va te dire, mais je fumais ma cigarette à 19h30, une heure avant.
Le PdL : C’est exactement la question que je me posais : est-ce que le fumeur invétéré de Vichy était toujours un fumeur ?
JLE : Ah oui, toujours ! À 19h30. Il savait, tout le monde savait : personne ne me cherchait dans le vestiaire à 19h30. Ils savaient que j'allais fumer ma cigarette, j'avais besoin de ça.
Après, j'avais comme tout le monde, un maillot fétiche que je mettais en dessous, un truc qui ne ressemblait à rien. Mais c'était comme ça. Et puis je les gants, les gants : tant que j'étais bon, avec une paire de gants, qu'on gagnait, j'essayais de les garder le plus longtemps possible. J'étais capable de donner, si je n'avais pas été bon de donner ma paire de gants neufs à un ramasseur de balle après le match, s’il me demandait, mais sans souci.
Le PdL : Et alors t'as parlé des gens que tu appréciais à Monaco, est-ce que tu avais un club au contraire que tu détestais affronter ? Parce qu'en 17 ans, tu as affronté pratiquement tous les clubs de la planète en première division. Est-ce qu'il y avait des joueurs particulièrement que tu avais des difficultés à appréhender ?
JLE : Des clubs? Non, non, parce que j'ai eu la chance de réussir dans des stades et pas de et de ne pas réussir non plus. Après, Bernard Lacombe, malheureusement, il m'a mis quelques buts, même si je sais que celui qui m'a marqué plus de buts, Vercruysse, voilà, Mais ça n'a pas marqué… C’est pas que c’était un super joueur, Philippe Vercruysse, c'est pas ça. Mais Bernard Lacombe m'a le plus marqué parce que c'était le premier à faire des misères. Donc souvent il réussissait contre moi, le môme, c'est comme ça. Sinon Je n’avais pas de crainte particulière vis-à-vis d'un joueur, d'une équipe ou d'un stade en particulier, non.
Le PdL : Donc tu disais que tu étais un chambreur. Mais est-ce que tu chambrais aussi l'adversaire pour essayer de les déstabiliser par exemple ?
JLE : Ça, jamais.
Le PdL : Jamais ?
JLE : Je n’aurais pas supporté qu’on me chambre, l'adversaire, donc je ne chambrais pas, non,
Le PdL : Tu n’entamais pas les hostilités !
JLE : Non. Après j’étais capable de faire mal. Si on me faisait mal, j’étais capable de le dire. : « La prochaine fois, c'est moi qui vais te faire mal ! » Ça m'est arrivé !
Le PdL : Alors qui, par exemple ?
JLE : À Paris, Amara Simba. Après, on est devenus potes parce qu’il jouait à Monaco. Et sur une balle, entre deux, moi, je sors par terre, il me met le pied. Je lui ai dit : « Si ça se reproduit, tu ne vas pas pouvoir frapper dans la balle. » Et ça s'est reproduit. Et plutôt que de me mettre de tout mon long, j'ai ramené ma jambe droite comme ça, au moment où il allait frapper, j'ai tendu ma jambe. Donc ça lui a tapé au-dessus, au-dessus du pied. Donc il a eu bien mal sur le coup. Je lui avais dit : « Tu vois ! » J'étais plus méchant quand je me suis arrêté de jouer et que j'ai joué dans le champ parce que je me suis dit : « Tu joues un peu dans le champ ! », pour voir ce que ça donne, un petit niveau ! Là, j’étais plus méchant. Sinon, non, j’ai jamais été vraiment chambré : par les spectateurs, oui, mais pas par un joueur adverse. Et je n'ai jamais chambré non plus.
Le PdL : Pourtant il y avait à époque-là, il y avait une grosse rivalité, notamment Monaco/Marseille qui a été quand même assez importante. Toi, dans ce contexte, né à Marseille je rappelle quand même, de gros combats, Monaco/Marseille, comment tu te situais ?
JLE : Bien ! Non, Moi je. Moi j'ai quand je suis parti de Marseille, j'avais six mois, puis moi, j'étais fidèle à mes couleurs, plus que ça : hypnotisé par…Moi, j’ai toujours dit, enfin, c'est un bien grand mot, mais quand je portais le maillot de l'AS Monaco, (c’est le propre du gardien de but : on défend les couleurs qu’on ne porte jamais), mais moi j'ai toujours su que je portais des couleurs d'un club, d'une ville et d'un pays. J'étais complètement, complètement habité par ça. Donc même quand j'allais en Corse, j'étais avant tout un joueur de l'AS Monaco d'origine corse, fière d’être Corse, mais j'ai le fait d'être fier de ses origines ne pouvait pas dire que je vais trahir les couleurs que je porte. C’était même pas concevable, pour moi, ça. Donc avec l'OM, c'était pareil, alors c’étaient des matchs hyper bandants à jouer, bien sûr. Bon, ça m'est arrivé d’être pas bon d'être trop bon au stade Vélodrome, c'étaient toujours des matchs tendus, des matchs chauds. Et quelque part, quand tu fais ce métier-là, c'est pour faire ces matchs-là, surtout faire ces matchs-là. S'il n'y a pas ces matchs-là, il y a moins de saveur : quand tu rentres avant de jouer, quand tu rentres… Je dis toujours ce qui manque le plus, c'est pas le fait de jouer, parce qu'à un moment donné, tu sais que tu ne peux plus jouer. Mais c'est ce moment-là d'adrénaline, quand tu arrives avec les deux équipes ou ça crie de partout, c'est là. S’il y a une chose qui manque aujourd’hui, c'est ça.
Le PdL : En parlant d'adrénaline justement, il y a eu vraiment des matchs très, très âpres entre Monaco et l'OM. Il y a eu, si je me souviens bien, une finale de Coupe de France, assez incroyable. Quand l'affaire OM-Valenciennes sort, est-ce que, en tant que rival, est-ce qu’on se sent floué de se dire : « Attendez, c'était pas clair, on a perdu des titres parce que parce que les autres trichaient ! », est-ce que c'était surprenant quand l'affaire s'est révélée ? Donc pour je rappelle c'était les années 1992/93.
"Je ne vous donnerai pas de nom parce que on n'est pas là pour donner des noms, mais on sait que [Tapie] a acheté des joueurs de chez nous. On sait tout ça, Manu Petit sait ça, Claude Puel sait ça, Arsène Wenger sait ça… Mais ça, on l'a su après."
JLE : Sur l'instant tu…tu ne penses qu’à l'instant. Je me dis : « Putain les mecs quand même ! Est-ce que… ? » C'est qu’après ! Parce que je pense que vous avez envie de parler de ça. C’était après : tu sais que… Alors j'ai toujours du mal. Je ne dirais pas : Marseille a triché. Je dis Bernard Tapie a triché. Paix à son âme quelque part, mais lui, il a triché. Donc je pense sincèrement que l'AS Monaco devrait avoir deux titres de plus. Il y a des années où on s'est alors je ne vous donnerai pas de nom parce que on n'est pas là pour donner des noms, mais on sait qu'il a acheté des joueurs de chez nous. On sait tout ça, Manu Petit, sait ça, Claude Puel sait ça, Arsène Wenger sait ça, nous… Mais ça, on l'a su après. Donc sur l'instant, pour OM-VA, tu dis : « Ils ont acheté un match, pourquoi ils auraient acheté ce match-là ? » Ce qui est dommage, c'est qu’à cette époque-là, l'OM avait une sacrée équipe. Je ne suis pas sûr qu'ils auraient eu besoin de ça. Mais à partir du moment…
Le PdL : C'était ça leur argument effectivement.
JLE : À partir du moment où ils l’ont fait, quelque part, Bernard Tapie l'a fait, il a triché. Donc il y a, je pense qu'il y a deux titres qui nous reviennent de droit. On ne les aura jamais ! Aujourd'hui, tu t'aperçois que si tu rentres dans ce dans ce truc-là, je ne dis pas que tu vas être montré du doigt mais presque ! C'est un peu Don Quichotte qui se bat contre des moulins à vent. Malheureusement ! Il n'y a pas très longtemps, Manu Petit, est venu passer deux jours à Tours, on en parle encore : ça nous a blessé, ça nous a meurtris et c'est comme ça. Il n'y aura pas de de rétropédalage et c'est comme ça.
Le PdL : Je me souviens de cette époque-là : à ce moment-là effectivement, quand cette histoire s'est révélée, en fait, il n’y a presque que Monaco qui a dit : « Oui enfin on est moins surpris. » Alors Monaco, pas tout le monde : il y a quand même certains joueurs notamment où Arsène Wenger d'ailleurs qui soupçonnait quand même une sorte d'injustice là-dessus. Et c'est vrai que le fait que, quand Monaco a pris la place de l’OM en Champions League, etc., il y a eu il y a eu un anti Monaco alors qu'en fin de compte c'est ce que tu dis, Jean-Luc, c'était juste du don quichottisme. C'était normal que Monaco prenne cette place-là. Mais, je ne sais pas pourquoi, c'était devenu fou !
JLE : Avec tout le respect que j'ai pour sa famille…mais quand Bernard Tapie est décédé, beaucoup de journaux ont titré : « Adieu le Boss ! » Donc tu comprends tout ! Dans ma réponse tu ne comprends pas. Donc c'est quelqu'un qui a subjugué les gens, qui a subjugué les foules, qui parlait bien, qui était beau, qui chantait bien qui… Mais dans le foot, à un moment donné, il a triché, donc c'est…
Mais ça, les gens ne veulent pas l'admettre. Donc c'est pour ça que je disais tout à l'heure : c'est Don Quichotte qui se bat contre les moulins à vent ! Je n'ai pas envie d’être Don Quichotte, donc je n'ai pas envie de… Mais ça, c'est une réalité.
Le PdL : Oui, bien sûr.
Le PdL : C'est marrant que, 30 ans après, on a encore du mal à parler de cette histoire.
JLE : Parce que c'est comme ça ! J'ai vu la une de Monaco Matin quand il est mort, c'était, Monaco Matin, je dis bien Monaco Matin, c'était Bernard Tapie en première page, marqué : « le Boss » ou « Adieu le Boss ! ». Bon, là, tu te dis, ça ne sert à rien de se battre contre des… des combats qui sont…
Le PdL : Oui…
JLE : Donc c'est des combats qui sont perdus d'avance !
Le PdL : Alors, pour le coup, sur le sujet, c'est vrai que nous connaissons bien le magazine So Foot : So Foot a fait vraiment pour le coup la part des choses sur son… pas hommage justement, sur son numéro spécial Tapie en montrant l'énorme part d'ombre de Bernard Tapie Et ce n'était pas du tout un dithyrambique article, et, au contraire je pense que c'était un des So Foot les plus durs que j'ai vu sur, justement, l'histoire de Tapie : c'était vraiment à contre-pied de la presse. Mais je suis d'accord, complètement d'accord sur le fait qu'il y a une sorte encore de tabou sur le sujet qui peut être un peu frustrant pour certains joueurs.
JLE : Oui, mais c'est comme ça, malheureusement, et ça restera comme ça.
Le PdL : Alors simple curiosité : tu parlais de joueurs dont vous saviez qu'ils avaient été, on va dire tachés par la corruption. Évidemment, je ne vais pas te demander de les nommer, bien évidemment non, mais est-ce que ça, quand vous avez eu cette information où les joueurs étaient encore dans l'équipe. Et auquel cas, est-ce que, comment est-ce que ça se gère de savoir qu'il y a des brebis galeuses dans l’effectif ?
JLE : Mais nous les joueurs, on l’a su à après quelque part,
Le PdL : D'accord.
JLE : Même si on avait des toutes. Mais c'est qu'une fois, après qu'on a su, ils n'étaient plus là, qu’on s'est remémoré un peu les actions qui ont fait basculer les matchs. Et moi, j'étais de famille avec certains, donc ça m'a fait encore plus mal quelque part. Mais bon, c'est comme ça.
Je comprends qu'il y a plein de gens qui ont envie de savoir. Bien sûr qu'on connaît les noms, mais je ne le dirais pas mais…
Le PdL : Ah, mais à la limite, c'est même pas, c'est pas ça qui, enfin ça ne m'intéresse pas, je veux juste savoir vraiment le côté humain. On sait qu'un de ses coéquipiers, toi tu parles de la façon dont tu t’entraînes, tu te donnes à fond, de ta hargne, etc. Et de voir que d'autres personnes de ta propre équipe se sabordent pour de l'argent ou pour je ne sais quoi, j’imagine que ça doit être très, très difficile à accepter.
JLE : Alors moi, je suis peut-être, un peu couillon, un peu d'une autre génération, mais aujourd'hui je n'accepte toujours pas. Ces gars, je ne vais pas les voir pour leur serrer la main… c'est comme ça ! pour moi. Alors après, pourquoi ils l’ont fait, c’est la question qu’il faut leur poser, mais… est-ce qu'ils ont été obligés, pas obligés… Il y a peut-être un moment dans leur vie où il y a eu un besoin, qui a fait qu'ils n'ont pas pu dire non, je n'en sais rien. J’essaie de leur trouver des excuses, c'est déjà pas mal. Mais il y en a avec qui j'étais très lié ! Et ça, moi, ça m'a fait….
Le PdL : Donc tu as perdu des potes, en fait ! Tu as perdu des amis à cause de ça !
JLE : Ah oui ! Ah oui ! Ah oui ! C'est sûr, sûr et certain ! Mais c'est comme ça… Après, tu passes à autre chose tu te dis : « Sur un CV, cinq fois champion de France ce serait mieux que trois ! » mais bon c'est comme ça.
Le PdL : Et alors dernière question et je vais arrêter d'en parler, mais est-ce que vous le saviez, avant que l’affaire OM-VA sorte, est ce qu'il y avait des rumeurs comme quoi il y avait des enveloppes qui circulaient ou c'était vraiment une surprise pour tout le monde ?
JLE : C’était une surprise pour tout le monde. On ne savait pas du tout, nous les joueurs on ne savait pas, Arsène non plus, je ne crois pas… on ne savait pas ! On a été surpris sur l'instant. Et après on s'est dit : « Oui mais pourquoi ! »
Le PdL : Tu refais le film à l'envers après pour voir un peu…
JLE : Oui tu refais le film à l'envers et puis tu te dis : « Mais putain mais oui, c'est vrai que ce jour-là… et là… et là… et là. » Il faut savoir que Tapie, il n’a pas vraiment le choix : il y avait un trou énorme à l’OM, personne ne le savait, je ne sais pas si vous vous rappelez, ils ont été rétrogradés parce qu’il y avait un trou énorme. Et, seule la victoire pouvait faire que les gens n'aillent pas soulever le couvercle pour voir ce qu’il y avait. Donc il fallait qu'ils gagnent à tout prix ! Le point d'interrogation qu’il y a, avant tous les matchs de foot avant que l'arbitre siffle, il ne voulait pas qu'il existe, surtout pas.
Le PdL : Exactement ! Peu importe l'équipe qu'il avait été qui était, sans doute, la meilleure d'Europe, effectivement, mais peu importe…
JLE : C’était une super équipe !
Le PdL : Je suis désolé, on a un peu, c’était une petite digression, mais moi, c'est vraiment une question que je me suis posé depuis des années : j'ai toujours été mal à l'aise, vis-à-vis de cette histoire de voir que Jacques Glassman pendant des années a été euh vraiment le vilain…
JLE : Le pestiféré.
Le PdL : Le pestiféré alors que ça a été le seul gars honnête dans cette histoire.
JLE : Il a été le plus courageux de tous.
Retrouvez la 2e partie de l'épisode du Podcast des Légendes avec Jean-Luc Ettori -- "Le Cauchemar Sévillan"